La présidente
Monsieur Philippe COY
Confédération des buralistes
23 - 25 RUE CHAPTAL
75009 PARIS
Paris le 3 juillet 2025
N/Réf. : MLD/MMX/CS251053
Monsieur le Président,
Vous avez participé, le 3 mars dernier, en votre qualité de Président de la Confédération des
buralistes, à une réunion de concertation organisée par les services de la CNIL au sujet du déploiement,
dans certains bureaux de tabac, de caméras dites « augmentées » permettant d’estimer l’âge des clients
afin d’aider le buraliste à prévenir la vente de produits interdits aux mineurs (notamment tabac, alcool
et jeux d’argent et de hasard).
Il ressort des informations recueillies par les services de la CNIL que les dispositifs actuellement
déployés sont activés par défaut et analysent en continu, via un logiciel d’intelligence artificielle
embarqué, les visages des personnes se tenant dans leur champ et indiquent, par un voyant vert ou rouge,
si la personne est estimée avoir plus ou moins de 21 ans.
Le déploiement de tels dispositifs soulevant des questions en termes de protection des données
à caractère personnel et du respect de la vie privée des personnes, la CNIL, réunie en séance plénière le
12 juin 2025, a procédé à l’examen de la conformité de ces dispositifs au regard du RGPD et de la loi
« informatique et libertés.
Les opérations d’analyse du visage effectuées par ces outils constituent des traitements de
données à caractère personnel car ils collectent et traitent les visages des personnes concernées.
Pour être légalement mis en œuvre, un traitement de données personnelles doit donc respecter les
principes posés par le RGPD.
Dans sa position relative aux conditions de déploiement des caméras « augmentées » publiée en
juillet 20221, la CNIL rappelait que la démonstration de la nécessité et de la proportionnalité de ces
dispositifs est essentielle avant tout déploiement.
En premier lieu, le traitement envisagé doit être nécessaire afin de réaliser l’objectif poursuivi.
La démonstration de cette nécessité passe notamment par l’évaluation de l’existence ou non de moyens
moins intrusifs permettant d’atteindre cet objectif.
En l’espèce, il ressort de nos échanges que ces dispositifs sont utilisés par les buralistes comme
des outils d’aide à la décision ; la finalité du traitement semble donc être de faciliter le respect par les
buralistes de leurs obligations en matière de contrôle de majorité et d’interdiction de vente de produits
aux mineurs, et non de prouver la majorité de la personne.
1 Caméras dites « augmentées » dans les espaces publics : la position de la CNIL
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
3 Place de Fontenoy, TSA 80715 – 75334 PARIS CEDEX 07 – 01 53 73 22 22 –
www.cnil.fr
Les données personnelles nécessaires à l’accomplissement des missions de la CNIL sont traitées dans des fichiers destinés à son usage exclusif.
Les personnes concernées peuvent exercer leurs droits Informatique et Libertés en s’adressant au délégué à la protection des données (DPO)
de la CNIL via un formulaire en ligne ou par courrier postal. Pour en savoir plus : www.cnil.fr/donnees-personnelles.
Or, tout d’abord, les buralistes apparaissent disposer d’un certain nombre d’alternatives pour
respecter leurs obligations sans avoir à collecter le visage de tous leurs clients et à les traiter via une
solution d’intelligence artificielle :
-
la vérification d’un titre d’identité ou de tout document officiel comportant une photo et attestant
de la majorité des personnes ou donnant simplement sa date de naissance. S’il est vrai qu’un
titre d’identité présente l’inconvénient de révéler certaines informations non pertinentes pour la
preuve de majorité (sexe, adresse, lieu de naissance), la simple consultation par le buraliste reste
moins intrusive qu’un système d’intelligence artificielle qui analyse le visage de tous ses
clients ;
-
des moyens électroniques, comme des applications mobiles, permettent également d’afficher un
ensemble minimal d’informations et ce faisant de prouver sa majorité avec exactitude. A cet
égard, le Gouvernement français a, avec certains autres États membres de l’Union européenne,
fait part de sa volonté de déployer le « mini-wallet », une application de contrôle de l’âge
développée par la Commission européenne et dont un prototype est attendu dès l’été 2025. Un
moyen numérique sécurisé permettant de prouver sa majorité sans dévoiler d’autres
informations devrait donc être disponible prochainement.
Ensuite, dans la mesure où, pour le tabac et l’alcool, la loi impose aux buralistes d’exiger une
preuve de majorité pour chaque client avant une vente, quel que soit son âge apparent2, la nécessité et
l’opportunité d’un dispositif algorithmique d’estimation d’âge apparaissent contestables. Au contraire,
l’utilisation d’un tel dispositif pourrait inciter certains buralistes à ne pas respecter leur obligation légale
de contrôle systématique de la majorité du client. En effet, si le dispositif algorithmique estime qu’un
client est majeur, le buraliste pourrait avoir tendance à se passer du contrôle de majorité, pourtant
obligatoire.
Enfin, la nécessité du traitement repose sur l’évaluation de l’utilité et de la performance
opérationnelle du dispositif. En l’espèce, les outils déployés s’appuient, pour estimer l’âge des
personnes, sur de systèmes d’intelligence artificielle nécessairement probabilistes et qui comportent des
risques d’erreur plus ou moins élevés en fonction notamment des bases de données sur lesquelles les
algorithmes ont été entraînés. Leur fiabilité est donc nécessairement imparfaite.
Au surplus, les autres effets collatéraux attendus de ce dispositif ne sauraient davantage suffire
à établir sa nécessité. D’une part, s’agissant de l’effet recherché de dissuasion des clients mineurs, des
campagnes de sensibilisation du public, rappelant aux personnes la nécessité de prouver leur majorité
pour acheter certains produits, permettraient de faciliter, pacifier et améliorer l’acceptabilité du contrôle
de majorité effectué par le buraliste3. D’autre part, l’effet recherché d’un apaisement des tensions
aujourd’hui constatées lors de certains contrôles de majorité n’apparaît pas suffisant dans la mesure où,
en tout état de cause, comme il a été rappelé précédemment, le recours à ce dispositif ne saurait exonérer
le buraliste de son obligation d’exiger du client qu’il établisse la preuve de sa majorité.
Au total, de tels dispositifs d’estimation d’âge n’apparaissent donc pas nécessaires pour
atteindre les objectifs poursuivis par les buralistes, compte tenu des alternatives plus fiables et moins
intrusives dont ils disposent.
2 Articles
L. 3512-12 et L. 3342-1 du Code de la santé publique.
3 Des mesures de cet ordre ont par exemple été mises en œuvre dans des pays anglo-saxons
: No ID No Sale! -
Preventing Underage Sales in the UK.
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
3 Place de Fontenoy, TSA 80715 – 75334 PARIS CEDEX 07 – 01 53 73 22 22 –
www.cnil.fr
Les données personnelles nécessaires à l’accomplissement des missions de la CNIL sont traitées dans des fichiers destinés à son usage exclusif.
Les personnes concernées peuvent exercer leurs droits Informatique et Libertés en s’adressant au délégué à la protection des données (DPO)
de la CNIL via un formulaire en ligne ou par courrier postal. Pour en savoir plus : www.cnil.fr/donnees-personnelles.
En second lieu, le déploiement d’un dispositif de caméras « augmentées » ne doit pas conduire
à porter une atteinte disproportionnée à la protection des données à caractère personnel des personnes
concernées.
Or, comme tout système de caméras dites « augmentées », ces dispositifs d’estimation
algorithmique de l’âge présentent par nature des risques pour les droits et libertés fondamentaux des
personnes, en particulier lorsqu’ils ont vocation à automatiser entièrement certaines activités de la vie
courante. Ces caméras ne font pas que filmer mais analysent, en temps réel, les personnes qui y sont
exposées. Leur déploiement dans des lieux de vie et de sociabilité comme des bureaux de tabac contribue
à un risque de banalisation et d’habituation à une forme de surveillance renforcée par la multiplication
de tels outils.
Si les dispositifs actuellement déployés par les buralistes apparaissent présenter certaines
garanties (traitement des données en local et suppression rapide des images), leur activation par défaut
et en continu, impliquant le traitement des données de toute personne se présentant à la caisse du bureau
de tabac, paraît disproportionné au regard de l’objectif poursuivi. Cette activation en permanence
empêcherait en outre l’exercice du droit d’opposition des personnes garanti par le RGPD.
Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, la CNIL considère que les dispositifs de caméras
augmentées d’estimation d’âge comme outil d’aide à la décision ne sont pas conformes aux principes
de nécessité et proportionnalité prévus par le RGPD et à la loi « informatique et libertés ».
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de mes salutations distinguées.
Marie-Laure DENIS
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
3 Place de Fontenoy, TSA 80715 – 75334 PARIS CEDEX 07 – 01 53 73 22 22 –
www.cnil.fr
Les données personnelles nécessaires à l’accomplissement des missions de la CNIL sont traitées dans des fichiers destinés à son usage exclusif.
Les personnes concernées peuvent exercer leurs droits Informatique et Libertés en s’adressant au délégué à la protection des données (DPO)
de la CNIL via un formulaire en ligne ou par courrier postal. Pour en savoir plus : www.cnil.fr/donnees-personnelles.